C’est la « crise » !

« C’est la crise ! ». On entend cette expression depuis presque une décennie maintenant. C’en est une effectivement. C’est même une rupture. Une rupture avec le monde d’hier. Et ça fait mal. La société capitaliste dans laquelle nous évoluons aujourd’hui renie ce qui lui a permis de s’épanouir : les travailleurs de la base. Les travailleurs de la base, c’est à dire, ceux qui sont à la base de notre société, ceux qui sont utiles à la société. Ceux qui nettoient la ville, ceux qui construisent la ville, ceux qui nous alimentent, ceux qui transportent les marchandises, ceux qui produisent, ceux qui nous aident : les ouvriers, les agriculteurs, les éboueurs, les routiers, les infirmiers, les enseignants, etc. Sans eux, ce ne serait pas la crise, ce serait le chaos. Ce sont les travailleurs les plus essentiels à notre survie et notre bien-être. Très étrangement, ce sont aussi les moins bien payés (une exception tout de même : les médecins). Nous assistons à une perte de valorisation de ce qui tient notre société debout. Et en parallèle, le plus absurde de tout, on voit se dessiner l’apogée des « bullshit » jobs. La multiplication des boulots qui ne servent à rien. Dans toute sa splendeur. C’est facile de les reconnaitre, leur intitulé est généralement en anglais. S’il devait y avoir un symbole emblématique de ce phénomène ? Le trader. On a rajouté de l’intermédiaire. On a rajouté des couches supplémentaires dans le millefeuille hiérarchique. On a laissé la machine bureaucratique s’emballer. Aujourd’hui, on malmène le productif et on chérit l’improductif. On dénigre le manuel et on applaudit le multi-diplomé. Plus votre job est inutile, mieux vous êtes payés…

Les élites déconnectées

Le taux de chômage bat des records. C’est visible globalement dans le monde entier, et il touche surtout la jeunesse. Avant tout, car le monde des études est maintenant en décalage avec le monde de l’entreprise. Il est même devenu inefficace. La plupart des parcours universitaires, pourtant diplômants, ne nous permettent plus de faire la différence d’un point de vue professionnel. Un master ne permet pas nécessairement de trouver un emploi. C’était pourtant une garantie il y a quelques décennies. C’est ce qui a poussé nos parents à faire des études. C’était leur argument pour nous faire bien travailler à l’école lorsque l’on était petit. Les études supérieures, on est beaucoup à en faire sans vraiment savoir pourquoi. Parce que l’on n’est plus vraiment sûr de savoir à quoi ça sert dans le monde professionnel d’aujourd’hui. À l’exception des Grandes Écoles. ENA, HEC, Polytechnique, etc. : des machines à fabriquer de la masse mémétique. Cette masse d’individus qui domine le monde. Le pire c’est qu’ils se reproduisent entre eux… Encore plus grave, ils n’ont pas les compétences nécessaires pour aborder le monde de demain. Puisqu’ils dominent le monde, ils devraient pouvoir être en mesure de répondre aux défis que le 21ème siècle amène. Au lieu d’embrasser la collaboration, la créativité et la pensée divergente, ils sont enfermés dans un monde standardisé, qui les a formatés pour s’en sortir les meilleurs dans un système pourtant suranné. Cela est à leur dépens. Ils l’ignorent totalement. Nos élites sont déconnectées de ce monde. Déconnectées du numérique. Déconnectées de l’avenir. Elles vont donc disparaître… En attendant, elles entrainent, par le pouvoir qu’elles exercent sur la société, une précarité de l’emploi pour tous les autres. Le Contrat à Durée Indéterminé est maintenant chose rare. La majorité des contrats de travail sont aujourd’hui de courte durée. Interim, CDD, temps-partiels, stages, apprentissages… C’est devenu la norme.

Le « sense making » : mode d’emploi

Auparavant, et encore aujourd’hui, on estime que l’on peut obtenir la productivité par la force et le contrôle. Cela se manifeste de façon prégnante à travers cette culture du pointage par exemple. Fort heureusement, il y a des entreprises et des individus qui s’inscrivent en faux vis-à-vis de cet archaïsme, qui ont parfaitement compris de quoi le futur sera fait. Et ce dont il aura besoin. Des entreprises qui ont modifié l’organisation de travail, amélioré la prise de décisions, donné du pouvoir et de la liberté aux salariés. Des individus qui ont eu le courage de s’affirmer. Et leurs idées avec eux. Des dirigeants qui ont eu l’audace de changer de paradigme. Ces acteurs-là savent que l’avenir est à la flexibilité et à la polyvalence. On voit fleurir des entreprises qui fonctionnent sur un nouveau modèle de productivité, plus éthique, plus doux et plus humain. Elles ont compris que les salariés sont beaucoup plus efficaces, énergiques, entreprenants, créatifs, productifs et innovants lorsqu’on leur donne l’opportunité de se libérer. En effet, pourquoi considérer que l’on travaille mieux, assis sur une chaise, le dos courbé devant un ordinateur pendant 8 heures d’affilées… ? Absurde. De nouveaux procédés ont donc germé pour laisser aux salariés une liberté d’esprit et de manoeuvre dans leurs projets. Certains ont négocié par exemple 3 jours de télétravail (travail depuis la maison) par semaine. Si l’on n’a besoin que d’un ordinateur et d’internet pour travailler, pourquoi se déplacer ? Surtout si un enfant est malade où si l’on a besoin d’aller faire une course… : le salarié réorganise son temps. Il ne raisonne plus en termes d’heures travaillées mais en termes d’efficacité. D’autres ont installé au sein de l’entreprise, une salle de sieste, car ils ont compris que l’humeur et concentration sont grandement améliorées lorsque l’esprit et le corps se reposent au calme quelques minutes par jour. D’autres ont instauré des stages de développement personnel, des cours de méditation, des jeux, des voyages. Et surtout, certains ont impliqué l’ensemble des salariés dans le développement de l’entreprise, en supprimant des intermédiaires hiérarchiques, en collectant les idées de tous les collaborateurs, en les responsabilisant, en leur faisant confiance… La confiance, il semble que ce soit le facteur le plus à même de provoquer chez un individu une passion pour ce qu’il fait, une qualité dans son travail, et une dévotion presque sans borne. Parce que le plus important finalement dans le travail, c’est la reconnaissance que les collaborateurs nous portent, la valeur que nous injectons dans l’entreprise, et l’utilité sociale que nous avons. Les individus qui ont la chance de pouvoir s’inscrire dans ce schéma de confiance deviennent généralement des « intrapreneurs », c’est-à-dire des entrepreneurs au sein même de leur entreprise : ils sont force de propositions, ils tâchent de présenter leurs idées de façon créative et graphique dans l’optique de récolter le plus d’adhésion possible de la part de leurs collaborateurs, ils sortent du cadre défini dans leur fiche de poste pour expérimenter des solutions, des prototypes, qui ont vocation à améliorer l’entreprise et ses activités annexes de façon globale. Ils collaborent à l’épanouissement de l’entreprise.

Faire son « job-out »

Si l’on n’a pas la chance d’être intrapreneur au sein de son entreprise, que l’on n’a pas l’occasion de s’impliquer, de compter parmi les autres… Si notre éco-système professionnel tout entier nous rend malheureux (tâches répétitives et rébarbatives, mauvaise ambiance, perte de sens, perte de valeur, perte de confiance…), il y a plusieurs conséquences possibles : 1. Acceptation aigrie de faire un métier que l’on aime pas mais que l’on compense avec une vie personnelle et un entourage extérieur riche et aimant. 2. Dépression, « burn-out » (épuisement professionnel), arrêts maladie à répétition et propagation de la mauvaise humeur ambiante quand la stabilité émotionnelle n’est pas suffisamment soutenue dans la vie privée. 3. Départ volontaire de l’entreprise : une démission en somme… Mais le terme à la mode c’est « job-out » (inspiré du vocable « coming-out ») car il s’agit-là d’un geste assumé, que l’on revendique avec fierté, parce que l’on est entrepreneur de sa vie et que le développement personnel et le bien-être sont prioritaires. S’ils sont bafoués, alors on s’en va. On quitte son boulot, pour aller ailleurs, mais plus généralement, dans le cas du « job-out », pour créer sa boite, pour créer son propre métier, pour devenir maitre de sa destinée, avec les risques et les doutes que cela comprend. Mais cela a une valeur inestimable : la liberté d’apprendre de nouvelles choses, la liberté de changer de voie, la liberté de se réinventer… Les acteurs de ce mouvement sont les entrepreneurs du changement. Ils sont les précurseurs du futur de l’emploi…

Inspirations :

  • [DOCUMENTAIRE] « Le bonheur au travail » de Martin Meissonnier (Arte)
  • [MÉDIA COLLABORATIF] Medium
  • [LIVRE] « L’open space m’a tuer » d’Alexandre des Isnards
  • [MÉMOIRE DE RECHERCHE] « Intrapreneuriat : des initiatives qui « font sens » pour les salariés » de Lisa Castor
  • [MAGAZINE] Socialter n°4 : Travail, l’éclate totale
  • [SITE INTERNET] Fuyons la défense !