Aujourd’hui, beaucoup d’enfants s’ennuient à l’école. Et le système est tellement mal adapté aux différences individuelles que ceux qui sont mis à la marge, qualifiés de « mauvais élèves », sont persuadés d’être bons à rien. Ce système ferme la porte à ceux qui ne rentrent pas dans le moule. En réalité, l’école éduque selon un certain déterminisme social qui encourage au conformisme : Le système standardise les individus pour qu’ils entrent en cohérence avec la normalité… Cette pratique étouffe la différence et asphyxie la créativité…
L’économie de la connaissance
Le problème de l’éducation actuellement c’est que son système est engoncé dans un autre système, celui de l’économie, de la compétition, de la consommation et de la spéculation. L’éducation s’est écartée de son objectif social et sociétal pour intégrer un objectif plus à la mode : l’économie de marché. Le savoir n’est plus intégré mais consommé. Les programmes sont normalisés et standardisés au lieu d’être libres et sources d’inspiration. Le savoir est enseigné en silos, par matière, et les syllabus permettent très difficilement de faire des ponts entre les connaissances. Les disciplines sont d’ailleurs classées et valorisées par ordre d’importance : les mathématiques en tête, les arts en bas de l’échelle. On nous entraine à restituer, au lieu de penser. Et, par conséquence, on privilégie des têtes bien pleines à des têtes bien faites. L’évaluation discrimine les élèves et ne les aide pas à progresser. Les notes sont utilisées comme une forme de prix ou de sanction et sont donc source d’angoisse et de stress. Elles ne donnent aucune indication sur le « comment progresser » mais donnent une information très précise sur le rang… car « elles sont utilisées de façon normative », autrement dit elles comparent les élèves entre eux. « La culture s’en sert comme d’un bras armé » (Fabrizio Butera) : les notes structurent l’esprit de compétition et elles sont un outil de classement puis de sélection. Instaurée dès le plus jeune âge, l’évaluation conditionne toute la suite d’un parcours scolaire et sa continuation jusque dans le monde professionnel.
L’école, un système fermé
La jeunesse s’ennuie à l’école au lieu de s’épanouir. Et les professeurs sont coincés dans un programme à respecter. Tous, décrochent ; et ce n’est pas parce qu’ils sont inaptes, ni médiocres, c’est parce qu’ils sont fâchés avec le système. De nombreux enseignants sont formidables ; nous avons tous été fortement marqués par certains d’entre eux au cours de notre vie scolaire. Parce qu’ils ont été des balises, des personnes-clés, qu’ils nous ont guidés, passionnés, réveillés. Tristement pour eux aujourd’hui, lorsqu’ils essaient d’innover, d’expérimenter ou de sortir du cadre, le système entier les évacue par la force. Les élèves, quant à eux, ne s’y retrouvent plus. Bien souvent car cela ne correspond plus à leur génération, ni à leur avenir. S’ils sont « bons », qu’ils répondent parfaitement à ce que l’on attend d’eux, cela est tant mieux pour eux. Mais dans une brève période de temps… Car le monde extérieur attend des individus qu’ils aient développé une pensée agile, indépendante, critique, créative et « out-of-the-box » (hors du cadre). Les « mauvais » élèves, ceux qui ont le malheur d’être différents, sont mis au ban ; ils sont bien conscients qu’ils ne sont pas adaptés à un système qu’ils perçoivent comme abstrus. En fait, c’est le système qui n’est pas adapté à ces élèves. Il les a rejetés. Face à des élèves qui s’ennuient ou qui décrochent, le système éducatif ne sait pas quoi faire. Et comme dans tout système fermé, quand il ne sait pas quoi faire, soit il ne fait rien, soit il fait ce qu’il ne faut pas faire : s’il ne les abandonne pas, le système éducatif cherche à enrégimenter de force les « rebelles » et les obligent à rejoindre la culture de la compétition (c’est-à-dire qu’il les force à accepter la doctrine selon laquelle il y a des gagnants et des perdants).
Dressés à la peur de l’échec
Nous avons persuadé insidieusement les élèves, les professeurs, les parents et la société entière que le droit à l’erreur était banni… Nous avons instauré l’apprentissage de la certitude alors que nous ne savons même pas à quoi ressemblera le monde dans cinq ans… Nous avons instauré la peur de l’échec et plutôt que d’éduquer les individus, nous avons fabriqué des machines (les enseignants, programmés pour programmer) qui à leur tour fabriquent des machines (les élèves, formatés par les programmateurs) et reproduisent l’inertie méméplexe. Autrement dit, la peur de l’échec (élément devenu objet culturel) est répliquée par les professeurs et retransmise aux élèves dans une logique mimétique de sauvegarde du paradigme. Et tout cela pour supprimer la faute, pour lutter contre l’erreur, pour résister à l’échec. En stigmatisant l’échec, le système éducatif se prive d’une prise de risque essentielle et formidable : la contingence, la culture du « pourquoi pas », la pensée alternative… Dans une culture où l’on refuse l’échec et où l’on s’éduque dans la peur, il n’y a pas de place pour la créativité, ni pour la liberté.
La prophétie des « drop-out »
L’école est souvent cause d’exclusion et de discrimination. En effet, les individus qui ne rentrent pas dans le schéma classique et étriqué du système éducatif actuel, sont exclus. Le système échoue à mailler les individus car en voulant les uniformiser, il les disloque de leur talent naturel. En cela, il les prive de la chance de découvrir leur(s) passion(s) et leur(s) vocation(s). Aujourd’hui, si un enfant est en échec scolaire, il n’a pas vraiment d’autre choix que de sortir du système. Parfois, il l’abandonne de lui même (« drop-out »). Parfois ce sont ses parents qui l’en sortent pour lui faire l’école à la maison (« home-schooling ») ou bien qui prennent le risque de l’inscrire dans une alternative éducative (« un-schooling »). Finalement, les « cancres » du système finissent tous par en sortir. Et vont chercher ailleurs leur propre champ de possibles. Par là même, ils se créent des espaces de liberté et parfois sans le savoir des espaces de création… D’ailleurs, éducation désigne étymologiquement l’action de « guider hors de ». L’école doit permettre à l’origine que l’on en sorte ! (Olivier Reboul). Ce n’est donc pas fondamentalement dramatique qu’un enfant n’ait pas un fonctionnement scolaire. Ainsi donc, les expériences extra scolaires peuvent parfois redonner de l’ambition culturelle et souvent ces expériences se jouent à peu : « il s’agit d’une valorisation qui vient de manière étonnante dans un cortège de gamelles » et « qui fait événement » (Bertrand Bergier).
Un changement de paradigme à l’oeuvre
Malgré l’inertie du système traditionnel, de nouveaux modèles éducatifs sont en train d’émerger et prennent exemple sur les moyens qui permettent aux individus de trouver leur passion. Ces écoles cherchent à évacuer la culture de l’élitisme. Elles ont parfaitement compris que les contours de l’événement éducatif sont perméables et souvent flous ; qu’il ne faut pas chercher à délimiter les espaces d’apprentissage, ni à les désarticuler. Ces « écoles » nouvelle génération ? La d.school, incubateur d’idées et de solutions créatives qui fonde ses valeurs sur un apprentissage collaboratif et une approche centrée sur la pensée design ; 42, école d’informatique gratuite, sans prof et ouverte à tous sans condition de diplôme, qui embrasse l’apprentissage et l’évaluation en pair-à-pair ; « Uncollege », école vocationnelle qui encourage les individus à sortir de l’université ou de la vie professionnelle pendant un an afin de trouver leur passion par le biais du voyage et du développement personnel ; « Unreasonable at sea », une école en bateau qui fait le tour du monde, destinée aux futurs entrepreneurs ; Montessori, une pédagogie qui s’inscrit dans une éducation sensorielle et kinesthésique de l’enfant ; etc. Les initiatives se multiplient aujourd’hui à une vitesse incroyable. Entrainé par l’ère numérique, le système éducatif tout entier est en pleine mutation. Notamment parce qu’il est mis en perspective avec les défis qu’amène le 21ème siècle. Le monde de l’éducation est en passe de vivre une véritable révolution…
Inspirations :
- [FILM] « Stella » de Sylvie Verheyde
- [FILM] « Will Hunting » de Gus Van Sant
- [DOCUMENTAIRE] « L’éducation interdite » de German Doin
- [SÉRIE TV] « Malcolm » de Linwood Boomer
- [LIVRE] Olivier Reboul : « La philosophie de l’éducation »
- [LIVRE] Yann Algan : « La fabrique de la défiance »
- [TED] « L’école tue la créativité » de Ken Robinson
- [ÉMISSION RADIOPHONIQUE] « Rue des écoles » de Louise Tourret (France Culture)