Impacté par la mondialisation et la révolution numérique, le système éducatif actuel est en train de vivre une transformation radicale. Une métamorphose qui touche en premier lieu sa structure interne dans l’optique d’atteindre plus de souplesse pour s’adapter à un monde en mouvement. Très naturellement, cette souplesse touche d’abord le supérieur – l’université et les grandes écoles – car c’est un niveau à mi-chemin entre l’école et le monde professionnel, et qui entre en compétition à l’international. Il est donc plus facilement sujet au changement, on en voit clairement sa manifestation via l’engouement qu’ont généré les MOOCs par exemple. Ce phénomène force aujourd’hui le monde des études supérieures à repenser son modèle économique. À terme, ce que cela veut dire c’est que la révolution éducative va connaitre plusieurs phases, en descendant toutes les couches : la transformation du supérieur va entrainer une transformation du lycée, qui va entrainer celle du collège, etc. dans une logique gigogne de poupées russes.
On casse tout et on recommence ?
Au cours de cette transformation, l’éducation va connaitre une évolution à deux vitesses : les deux modèles (ancien et nouveau) vont co-exister pendant un temps. C’est-à-dire que l’on verra de nouvelles écoles, de nouveaux types de pédagogie se développer en complément ET en marge d’un système classique et suranné qui continuera de persister tout en répondant quand même à une demande très présente. C’est une transition nécessaire qui satisfait tout simplement un besoin d’ « affordance » : lorsque les utilisateurs finaux d’un produit ou d’un service ne voient pas l’intérêt de telle ou telle innovation, ils continuent de poursuivre dans le modèle traditionnel, un modèle qui a très bien fonctionné jusque là. C’est grosso modo une crise de confiance qui fait écho à une inertie face au changement ou une peur de l’incertitude quant au « ROI » (Retour Sur Investissement). C’est au cours de cette transition que l’innovation et les bonnes pratiques, draguées par les nouvelles écoles / formations / pédagogies, vont progressivement contaminer, et peu à peu conquérir l’ancien modèle.
L’éclatement de la standardisation
On va voir éclore une kyrielle de nouveaux modèles éducatifs, tous différents les uns des autres, et qui vont venir « disrupter » le paradigme actuel. Ces formations vont revoir le rôle de l’enseignant, qui va glisser du « Sage on the Stage » (le maître sur l’estrade) au « Guide on the Side » (l’accompagnateur attentif). Par là même, les nouvelles formations et pédagogies vont créer un phénomène de mode, à effet boule de neige, qui va envahir l’ancien modèle. Ce dernier va finir par comprendre et accepter que le « prof » ne peut plus être l’expert tout sachant, mais qu’il doit devenir un coach, un mentor qui guide l’élève tout au long de son voyage pédagogique. Le prof du futur est un designer d’orientation, un architecte des compétences à acquérir selon les talents, passions et objectifs de chaque élève. Ce prof 2.0. sera d’autant plus important que notre société va connaître une abondance d’options en tout genre qui vont perdre quelque peu le public. Face à la multiplication des formations, comment faire le tri ? et que choisir pour son enfant ? Il est possible que cela devienne un cauchemar pour les parents. Pour répondre à ce phénomène, une nouvelle race d’individus va apparaître : celle capable de naviguer dans les méandres du futur de l’école. Ils seront capables de dresser le panorama éducatif mondial via des audits et une veille permanente pour présenter à qui veut son parcours personnalisé. Cette nouvelle forme d’éducation va donc embrasser ce que l’on appelle le « Personalized Learning ». Cela va forcer l’évolution de la formation des enseignants (les ESPE en France notamment) qui va revoir totalement son modèle pour créer des « Supers Profs » : ces fameux « competency trackers », « learning journey designers », « learning facilitators » dont certains seront érigés au rang de stars internationales.
Les nouveaux chemins cognitifs
Grâce aux progrès des neurosciences et de la psychologie cognitive, on aura compris que l’erreur est le processus d’apprentissage le plus efficace et qui opère en maître dans notre cerveau. On cherchera à l’appliquer, à le provoquer à l’école. La faute ne sera donc plus sanctionnée mais encouragée. Cette renaissance éducative est un nouveau souffle. Elle fera beaucoup de bien. C’est l’avènement de la pratique zététique (l’art du doute) et de la sérendipité (l’art de la découverte et de l’innovation aléatoires). On apprendra en essayant, en se trompant. Le modèle des « flipped classroom » (classes inversées) viendra soutenir cette nouvelle vision : c’est la fin des cours en classe et des devoirs à la maison ; on fait l’inverse ! C’est plus efficace. Demain, les enfants apprendront leurs leçons à la maison, à leur rythme, via des supports multi-canaux, dont la vidéo qui sera le plus populaire, qui leur permettront de revenir en arrière, de répéter une notion complexe autant de fois que nécessaire. Et, ils feront les devoirs et les exercices en classe, avec l’aide précieuse de l’enseignant (qui accompagne et non plus corrige), en pair à pair et en micro-groupes collaboratifs. Cette nouvelle pédagogie sera rejoint par une philosophie plus large qui est celle de l’école de la vie, et qui, pour s’épanouir, va utiliser les moyens et technologies à disposition : l’école sera « blended » (hybride), « online » et « onsite », virtuelle et réelle ; c’est-à-dire qu’elle utilisera la technologie (en support et en outils d’aide à la contextualisation) : environnements virtuels, éco-systèmes de simulation, pédagogies « gamifiées » (ou ludifiées), mais pas que ! Car, dans certains cas la technologie pourra être vue comme un frein à la créativité. Le libre cours à l’intelligence sera provoqué et facilité par des phases d’ennui simulées, et des phases de mise en situation de solitude pour forcer le cerveau à fonctionner en mode primaire, out-of-the-box, et créatif. La somme de ces individualités empiriques et cognitives sera ensuite partagée en groupe, retravaillée puis optimisée pour favoriser un savoir collaboratif et des innovations disruptives, très largement valorisés dans le monde de demain. Ce n’est pas un hasard si aujourd’hui, les plus grand noms du monde du numérique mettent leurs enfants dans des écoles sans ordinateurs… Grâce à ces nouvelles façons d’apprendre et de créer, le cerveau – qui n’aura plus besoin de contenir du savoir (puisque dématérialisé, stocké et disponible partout grâce aux technologies), – va se modifier… On assistera à une restructuration de l’intelligence, de la capacité créative et artistique et à la transformation de notre rapport au savoir.
Partout. Sans contrainte. À la carte.
Grâce à internet et à l’économie du partage, le futur de l’éducation voit l’apogée du « mobile learning » : demain, les campus physiques auront moins d’importance, l’amphithéâtre aura disparu et des « Learning Community Centers » auront poussé comme des champignons partout sur la planète, sur le modèle du Starbucks : grande accessibilité et simplicité, confort, lieux populaires, lieux de rencontre et d’échange énergisants, lieux de lancement de projets innovants à forte valeur citoyenne. La salle de classe du futur n’aura plus de murs, elle interviendra n’importe où (étranger, nature, ville, lieux culturels…), elle sera mouvante, mobile, malléable et conviendra à tous les usages. En somme, l’école de demain est adaptative. Elle fonctionne sur le principe de la modularité. Autrement dit, les programmes ne sont plus ni normés, ni standardisés, ils sont « à la carte » : les modules d’apprentissage sont disponibles en briques, que chacun choisi, associe, amende et construit pour se créer un chemin cognitif unique. Ces briques sont re-constituables à l’infini (sur le principe des LEGO) et embrassent la culture de la transversalité : on n’apprendra plus de façon pyramidale ou en silos mais en convergence afin qu’à la croisée des savoirs, émerge de l’innovation. Dans cette gigantesque « Learning Mosaic », le Big Data va avoir une réelle pertinence pour gérer l’intelligence de la multidisciplinarité : il permettra de faire des recommendations pertinentes selon les profils de chacun et de garder le compte des compétences acquises, des innovations lancées, etc. Les frontières physiques de la salle de classe et celles des classes de niveaux vont devenir de moins en moins étanches… Ce que cela signifie au niveau du lycée par exemple (s’il existe encore demain), c’est qu’il n’y aura plus de classes (Seconde, Première, Terminale) et qu’il n’y aura plus de filières différenciées (S, ES, L, Techo, Pro…) mais un tronc commun avec une myriade d’options disponibles à interconnecter pour créer des parcours personnalisés. On ne redoublera plus mais les retours en arrière seront possibles, c’est-à-dire que l’on pourra changer d’option en cours de route et au gré des besoins. Ce que cela signifie au niveau du supérieur par exemple, c’est que le modèle LMD (Licence – Master – Doctorat) n’existera plus mais que chaque étudiant dans le monde entier pourra prendre une brique de savoir à Stanford, l’associer à d’autres briques proposées par le MIT, à mixer avec un module-stage chez Apple… pour créer une sorte de programme à la carte. En bref, cette reconfiguration de la Grande Mosaïque éducative est très probablement l’avenir de l’acquisition des savoirs et des compétences. Et les MOOCs y trouveront leur modèle économique si longtemps recherché ! Les contenus resteront libres et gratuits mais ce qui se monnaiera très cher c’est la capacité, l’efficacité et l’ « accuracy » des plateformes à mesurer les progrès de façon pertinente, à détecter les profils innovants et talentueux : ce seront les entreprises – qui chassent – qui paieront pour ces services. Elles paieront pour trouver leur prochain collaborateur créatif et intelligent qui viendra apporter sa contribution et faire de l’entreprise, une entreprise à forte innovation ajoutée.
Apprendre tout au long de la vie
Les formations et les pédagogies du futur vont remettre complètement en question la notion d’évaluation par l’information normative (la note), celle de la vérification en temps donné et chronométré des connaissances pour enfin s’affranchir de sa clé de voute : le diplôme. En effet, le fait d’évaluer un individu à un instant « t » va devenir absurde parce qu’obsolète : qu’a-t-on à faire d’une certification de telle ou telle compétence à un moment donné dans la vie quand celle-ci demande une amélioration continue. Le Baccalauréat, et tout au autre type de diplôme sur la base du « one-shot » disparaîtra au profit d’un contrôle continu des connaissances et d’une évolution continue des compétences. En partie parce que le monde du travail de demain demandera une créativité prolifique sans cesse renouvelée. On ne se reposera plus jamais sur ses acquis. Le bouquet final de la révolution de l’éducation terminera sur une fusion. Une fusion en 3 temps : 1. On va d’abord assister à une séparation de l’École et de l’État (de la même manière qu’il y a eu séparation de l’Église et de l’État) : l’Éducation Nationale va disparaitre et avec elle, son schéma standardisé des savoirs, des programmes, des diplômes et des orientations. Mais cette séparation est temporaire : il s’agit de dé-fusionner pour mieux re-fusionner. 2. Pour pouvoir former les individus créatifs et entrepreneurs dont le monde de demain a besoin, l’École (lieu où l’on apprend) va fusionner avec le monde de l’entreprise (lieu où l’on travaille) afin de déterminer ensemble les portefeuilles évolutifs de compétences nécessaires, d’améliorer la détection et l’éclosion de talents divers et variés, de mettre au point des pédagogies toujours plus efficaces et en lien avec leur temps. 3. L’École-Entreprise (lieu où l’on innove) va fusionner avec l’État-citoyen (lieu où l’on décide). Le résultat de cette magnifique fusion sera que l’école deviendra le point central de la société de demain : elle se construira et se réinventera en permanence, par les coachs scolaires, les élèves et leurs parents en collaboration avec les entreprises et l’État-citoyen (forum collaboratif de décision civique et écologique qui aidera à rendre les écoles plus vertes et responsables socialement).
Inspirations :
- [SITE INTERNET] Knowledge Works
- [LIVRE] « Phèdre » de Platon
- [CAHIER DE VEILLE] Fondation Télécom : « Higher Education in the Digital Age »
- [MAGAZINE] Usbek & Rica n°3 : « La revanche des cancres »
- [REVUE] Economie & Management n°156 – pages 41-47
- [MOOC] « The Future of Education » par l’I.O.E. et l’Université de Londres
- [LIVRE] « Les sept savoirs nécessaires à l’éducation du futur » d’Edgar Morin
- [GROUPE FACEBOOK] « New World University. Let’s invent the future. »
- [ESSAI] Benjamin Patrice Magnard « Y’a t-il un Kennedy dans la classe ? »